Résolution de l'équation n² + 100 = q³ (1998-11-11)

In article <48a3287f8aVincent.Lefevre@pm-vlefevre.ens-lyon.fr>,
   Vincent Lefevre <Vincent.Lefevre@ens-lyon.fr> wrote:

> Il n'y a que 5², 30² et 198². C'était un problème du Quadrature n°19,
> et je leur ai envoyé une démonstration, qu'ils ont publiée dans un des
> numéros suivants.

Puisque quelqu'un me l'a demandée, voici la démonstration. C'est
une version texte de ce que j'avais envoyé à Quadrature il y a
2 ans. Note: je n'utilise que des caractères du jeu ISO-8859-1
(ça ne devrait donc pas vous poser de problème). Il est conseillé
de lire avec une fonte non proportionnelle (où tous les caractères
ont la même largeur).

Je note NN l'ensemble est entiers naturels et ZZ l'ensemble des
entiers relatifs.

Rappel du problème: résoudre dans ZZ l'équation n² + 100 = q³.


0. Préliminaire sur les entiers de Gauss
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Pour résoudre l'équation n² + 100 = q³, nous nous placerons dans
l'anneau ZZ[i] des entiers de Gauss, nombres complexes a+bi avec
a et b dans ZZ.

Nous utiliserons le fait que cet anneau est factoriel, c'est-à-dire
que tout entier de Gauss non nul admet une unique décomposition (à
un ordre près) en facteurs irréductibles (à une unité près). Nous
aurons donc des propriétés de divisibilité similaires à celles dans
ZZ, qui est factoriel.

Plus précisément, en considérant l'application N de ZZ[i] dans
NN définie par N(a+bi) = (a+bi)(a-bi) = a² + b², on montre les
propriétés suivantes: les éléments inversibles (unités) de ZZ[i]
sont 1, i, -1, -i; les facteurs irréductibles de ZZ[i] sont les
nombres premiers p de ZZ ne pouvant pas se mettre sous la forme
d'une somme de deux carrés (ce sont les nombres premiers p de la
forme 4k+3) et les nombres a+bi tels que N(a+bi) est un nombre
premier dans ZZ.


1. Analyse du problème
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Dans l'anneau des entiers de Gauss ZZ[i], l'équation s'écrit
(n+10i)(n-10i) = q³. La résolution de cette équation sera basée
sur la décomposition en facteurs irréductibles des deux membres,
qui est unique car ZZ[i] est factoriel.

La décomposition en facteurs irréductibles de q³ est particulière.
Nous avons déjà trois facteurs identiques q. Ensuite, on peut
décomposer q en facteurs premiers dans ZZ. Il reste à décomposer
un facteur premier p de ZZ. On a deux possibilités: soit p est
irréductible, soit p se décompose en produit (a+bi)(a-bi) de deux
facteurs irréductibles.

Montrons qu'il n'existe pas de facteur premier p de q dans ZZ, qui
soit irréductible dans ZZ[i]. S'il en existe un, il divise l'un des
deux facteurs n+10i ou n-10i (en fait, il divise même les deux), donc
p divise n et 10, parce que p est dans ZZ. Donc p = 2 ou p = 5. Dans
ces deux cas, p n'est pas irréductible dans ZZ[i]: 2 = (1+i)(1-i) et
5 = (2+i)(2-i). Donc tout facteur irréductible de q dans ZZ[i] est
de la forme a+bi avec ab <> 0.

Considérons un facteur premier p de q. Sa décomposition en facteurs
irréductibles est de la forme: p = (a+bi)(a-bi). On a:

             (a+bi)³(a-bi)³ | (n+10i)(n-10i).

Quitte à changer le signe de b, on peut supposer que (a+bi)² | n+10i.
On a alors les deux possibilités suivantes:

           p | n+10i      ou      (a+bi)³ | n+10i,

suivant que a+bi | n-10i ou a+bi | (n+10i)/(a+bi)^2. Mais évidemment,
ces deux possibilités ne sont pas exclusives.

Suivant la valeur de PGCD(n,10), on peut déterminer si la première
possibilité peut avoir lieu, auquel cas l'équation peut se
« simplifier ». Une fois l'équation complètement simplifiée, on ne
pourra avoir que la deuxième possibilité, qui mènera en fait à une
égalité du type (a+bi)³ = r+si, avec une relation linéaire entre
r et s.

On va considérer les 4 cas possibles suivants: PGCD(n,10) = 1,
PGCD(n,10) = 2, PGCD(n,10) = 5 et PGCD(n,10) = 10.


2. Cas PGCD(n,10) = 1
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Pour tout facteur premier p de q, on ne peut pas avoir p | n+10i.
Donc il existe (a,b) dans ZZ² tel que

                        (a+bi)³ = n+10i

(et (a-bi)³ = n-10i). Par conséquent

                        a³ - 3ab² = n
                        3a²b - b³ = 10

De la seconde égalité b(3a²-b²) = 10, on déduit b | 10.
On a alors les différents cas suivants:

              |b| = 1     -->    3a² = 1 ± 10
              |b| = 2     -->    3a² = 4 ± 5
              |b| = 5     -->    3a² = 25 ± 2
              |b| = 10    -->    3a² = 100 ± 1

La seule solution possible est a+bi = ± 3 + 5i, ce qui donne n = 198.
On n'a pas PGCD(n,10) = 1. Néanmoins n = 198 conduit bien à une
solution correcte: on a q = 34; on retrouvera évidemment cette
solution plus tard.


3. Cas PGCD(n,10) = 2
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Posons n = 2k. Alors n² + 100 = 4(k+5i)(k-5i). Puisque 2 | q, on
a 2 | (k+5i)(k-5i), d'où 1+i | k+5i. Soit (a,b) dans ZZ² tel que
(1+i)(a+bi) = k+5i; (a,b) vérifie: a - b = k et a + b = 5. a+b est
impair, donc k aussi. Posons k = 2L+1. Alors a = L+3 et b = -L+2.
En résumé:

          n² + 100 = 2³ ((L+3)-(L-2)i) ((L+3)+(L-2)i).

PGCD(n,10) = 2, donc PGCD(k,5) = 1, et PGCD(L+3,L-2) = 1, i.e. il
existe (a,b) dans ZZ² tel que (a+bi)³ = (L+3)+(L-2)i. Par conséquent

                         a³ - 3ab² = L+3
                         3a²b - b³ = L-2

ce qui donne l'équation suivante: a³ - 3a²b - 3ab² + b³ = 5,
que l'on peut factoriser: (a+b)((a+b)² - 6ab) = 5.

On a soit |a+b| = 1, soit |a+b| = 5. La seule solution acceptable
donne L = 49. On retrouve la solution n = 198, q = 34.


4. Cas PGCD(n,10) = 5
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Posons n = 5k. Alors n² + 100 = 25(k+2i)(k-2i). Puisque 5 | q, on
a 5 | (k+2i)(k-2i), d'où 1+2i divise k+2i ou k-2i. Soit s = ±1 tel
que 1+2i | k+2si. Soit (a,b) dans ZZ² tel que (1+2i)(a+bi) = k+2si;
(a,b) vérifie: a - 2b = k et 2a + b = 2s. D'où

                 k + 4s                    2s - 2k
            a = --------      et      b = ---------
                   5                          5

a et b sont entiers, donc k est de la forme 5L+s. On a alors:

             n² + 100 = 5³ ((L+s)-2Li) ((L+s)+2Li).

Là encore PGCD(L+s,2L) = 1 (puisque n est impair). Donc il existe
(a,b) dans ZZ² tel que (a+bi)³ = (L+s)+2Li. Par conséquent

                        a³ - 3ab² = L+s
                        3a²b - b³ = 2L

ce qui donne l'équation suivante: 2a³ - 3a²b - 6ab² + b³ = 2s.

Cette fois, le polynôme X^3 - 6X^2 - 3X + 2 est irréductible: on a
une équation de Thue, i.e. elle est de la forme P(a,b) = r, où P est
un polynôme homogène de ZZ[X,Y] irréductible et de degré supérieur ou
égal à 3, et r une constante entière. Le logiciel Magma V2 permet de
résoudre de telles équations. Pour l'équation ci-dessus, les solutions
sont: (1,-1), (-1,1), (1,0), (-1,0). Elles conduisent à q³ = 5³ × 8 et
à q³ = 5³ × 1, i.e. q = 10 et q = 5. Bien que correcte, la solution
q = 10 est ici à rejeter (on la retrouvera dans la section suivante).
La solution q = 5 convient.


5. Cas PGCD(n,10) = 10
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On reprend l'équation: n² + 100 = 5³ ((L+s)-2Li) ((L+s)+2Li).
Puisque 2 | n+10i, L est impair. En posant L = 2m-s, on montre
que m est de la forme 2r+s, et on obtient l'équation

            n² + 100 = 10³ ((3r+s)+ri) ((3r+s)-ri),

puis a³ - 9a²b - 3ab² + 3b³ = s. On a encore une équation de Thue,
qui admet pour solutions (1,0) et (-1,0), ce qui donne q = 10.


6. Conclusion
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En conclusion, les seules solutions de l'équation n² + 100 = q³ sont:

              n = 5        n = 30        n = 198
              q = 5        q = 10        q = 34

Note: en remarquant que 1+i = i(1-i), on aurait pu omettre les cas
PGCD(n,10) = 2 et PGCD(n,10) = 10 (en gardant toutes les solutions
des deux autres cas).

Je tiens à remercier Geoff Bailey pour m'avoir donné les deux
résultats des équations de Thue, ainsi que les autres lecteurs
du newsgroup sci.math pour leurs informations sur les équations
de Thue.


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